L’instant texto
Un petit bip-bip l’annonce, une enveloppe dessinée sur l’écran du téléphone portable, en haut à gauche. Une simple pression du pouce, et les mots viennent se ranger :
« Je suis au Jardin des Plantes. Il fait beau. Je lis le dernier de Botton. Je vous embrasse. Transmis le 10.04.2003 15.45.37
Venant de V… 06 89… » On lit le texte quelques secondes après qu’il a été formulé. Les lettres noires sont étranges. Chacune est constituée d’une infinité de carrés minuscules qui donnent aux mots une espèce de relief aux contours un peu rêches, d’une régularité synthétique prodigieuse : on s’étonne de voir cette machinerie quasi virtuelle obéir à la volonté de quelqu’un que l’on connaît, transfuser sa présence.
On est sur un trottoir, dans une autre ville. On n’est pas allé chercher le message dans une boîte aux lettres avec l’idée d’espoir, d’attente, le rite du décachetage, le risque d’une déception. On n’était pas dans un bureau, comme pour le fax. Le texto surgit dans l’effraction la plus neutre, la plus douce. Au lieu de traverser au feu rouge on le regarde, dans le creux de sa main. Une minute à peine… « Je suis au Jardin des Plantes » est toujours vrai. « Je lis le dernier de Botton » n’a été faux qu’à l’instant précis où V… a suspendu son temps pour vous le faire partager. Le présent du texto n’a pas d’équivalent. Sur fond d’écran légèrement verdâtre, en lettres mal ébarbillées, il ne demande rien que du silence. Une autre vie est là, avec un décalage si infime qu’il semble une complicité supplémentaire. C’est comme si l’on jouait à franchir les parois de verre dans le labyrinthe de la fête foraine. Il semble qu’il n’y ait pas d’ondes électriques – seulement cette horizontalité des lignes plates qui ont effacé tout l’espace. Dans le creux de la main, elles prennent du relief, soudain : les arbres du Jardin des Plantes, un squelette de dinosaure derrière les fenêtres, un coin de ciel bleu parisien. Au troisième feu rouge on va finir par traverser.